jeudi 29 janvier 2009

"Expérimenter le frisson" - Valkyrie (Bryan Singer)


Le 20 juillet 1944, un groupe de résistants allemands échoue à assassiner Hitler et signe ainsi son propre arrêt de mort. Dès l'énoncé de ses enjeux, Valkyrie présente l'originalité de générer un suspense et de la fébrilité là où il n'y a pourtant que certitudes et délimitations : l'attentat est un échec, restera dans l'ombre de la victoire des Alliés, Claus von Stauffenberg et ses lieutenants tomberont dans l'oubli. Travail de mémoire et de réhabilitation dira-t-on, pour des hommes qui ont donné leur vie dans l'espoir de restaurer la dignité de leur patrie.

Je pense ici à Black Book (Verhoeven, 2006), à sa manière de digérer un passé biaisé pour en faire rejaillir les conséquences contemporaines avec rage et justesse. Je pense à The Addiction (Ferrara, 1994), qui inscrit la douleur et la mort sur le celluloïd même, qui ressuscite les images pour mieux les actualiser. A ce cinéma encore déchiré, intrinsèquement malade et conscient du fardeau que l'on continue de porter, Singer répond avec une fiction historique d'antiquaires, certes fluide et par moments virtuose, mais toujours cantonnée au récit figé. Valkyrie sort à peine sur les écrans qu'il n'appartient déjà plus qu'au passé, incapable d'en faire la synthèse pour éclairer voire, dans des cas extrêmes, modifier la perception du présent

Dans Vol 93, Greengrass se servait de la -prématurée- fiction historique comme d'un grand huit, et sous couvert de réhabiliter des mémoires héroïques niait la notion même de libre-arbitre par l'impact hypnotisant de l'image. Pris en otage par la virtuosité, la fluidité d'une caméra, il ne s'agit plus de mettre en relief les événements passés pour en tirer les conséquences, mais de s'en nourrir comme d'une attraction maladive, toucher de loin à la catastrophe pour mieux jouir de notre quiétude. « Expérimenter le frisson », l'un des points cardinaux de l'histoire du cinéma mis à mal par les dangers de la mimèse historique, voilà le réel enjeu de Valkyrie.

Singer le développe en effet à son insu, préférant instaurer un rapport exclusivement iconographique au sujet, toujours via un médium et sans jamais s'extirper de l'imagerie reproduisant les signes extérieurs de la catastrophe. Jamais Singer n'ose la confrontation au présent, celle qui dépasse le frisson technique pour rallier l'époque et investir les quotidiens. Dans Considérations intempestives (1873), Nietzsche écrit que « seul celui que la nécessité présente prend à la gorge et qui veut à tout prix en rejeter le poids, sent le besoin d'une histoire critique, c'est-à-dire qui juge et qui condamne » ; en choisissant d'embaumer les corps plutôt que d'en démultiplier les démons, Singer semble bien loin de la lucidité hargneuse de Paul Verhoeven...