mardi 2 décembre 2008

Foot-Ciné : Et si William Gallas remontait Raging Bull ?

J'ai pour projet de passer en revue les grands championnats européens et équipes nationales pour déterminer quels films auraient pu réaliser les divers joueurs, et dans quels courants cinématographiques se placeraient-ils. Pour faire simple, commençons et probablement finissons par l'équipe de France (je me contente d'un onze type, agrémenté de deux ou trois notables remplaçants, notamment en pointe où je ne peux pas délaisser deux des trois stars).

Premier volet, la défense :

Gardien – Mandanda : atypique, surprenant et charismatique, porté aux nues après ses toutes premières oeuvres mais dès lors pas nécessairement constant. Explosif au sol, artiste de la terre en grande difficulté lorsqu'il s'agit de devenir plus aérien, Steve Mandanda est William Friedkin. Un Friedkin apaisé, discret mais tourmenté, le film-phare de Mandanda se situerait entre 'Traqué' et 'Délivrance', entre 'Bug' et 'X-files le film'.

Les arrières latéraux – Sagnol/Sagna – Abidal/Evra : un double-duo tout à fait symptomatique du poste si particulier, si complet d'arrière latéral, qui est à mes yeux le plus intéressant sur un terrain. Ces quatre-là évoquent avant tout un passage de relai, deux carrières en fin de vie (une mort naturelle et une longue maladie, disons un sida car ça touche à tous les compartiments du jeu) qui laissent la place à deux grands espoirs en Bleu qui peinent encore à s'affirmer. Relai temporel donc pour un poste qui se doit d'assurer le relai spatial, défend et assure les arrières tout autant qu'il se dédouble pour assurer le surnombre en attaque (par des voies pas forcément académiques par ailleurs). Très difficile à synthétiser, mais je pense que les frères Farrelly font parfaitement l'affaire. De par leur capacité à feindre l'inoffensif pour mieux perforer, faire croire à une stabilisation de bases déjà acquises pour finalement jouer sur divers tableaux et brouiller les cartes. Tout comme Sagnol, tout comme Abidal, les frères Farrelly (encore un duo tiens) travaillent sur le liant, qu'il soit spatial ou temporel, et je désigne 'Deux en un' (buddy-movie par ailleurs, y'a pas de hasard) comme film-étendard du poste d'arrière latéral.

Les arrières centraux – Gallas/Mexès : deux personnalités complètement imprévisibles pour un poste qui nécessite peut-être la plus grande constance, avec gardien de but. Impérial en club et défectueux en sélection, tout l'inverse pour l'autre, ces deux-là manquent encore d'automatismes, ont peut-être du mal à s'adapter aux nouvelles donnes mondiales, mais s'ils reviennent à leur meilleur niveau ça risque de faire très mal. Rien de révolutionnaire, non, le poste ne l'exige pas, mais une rigueur terrifiante doublée d'un leadership indéfectible. Des meneurs d'homme, voilà ce qu'ils ont été et voilà ce qu'ils pourraient redevenir s'ils impressionnaient plus régulièrement. Gallas/Mexès, c'est Francis Ford Coppola et Ridley Scott, ce sont les réalisateurs d''Alien' mais aussi de 'American Gangster', une filmographie que l'on pourrait croire cancéreuse mais qui s'avère en réalité profondément dépressive et nostalgique. 'L'homme sans âge', Gallas et Mexès en fantasment mais ils ne l'ont pas encore réalisé. Film-étendard, 'Raging Bull' est en post-production avec Lilian Thuram au montage.

Deuxième volet, les milieux :

Les milieux défensifs – Vieira/Toulalan/Diarra² : un monstre sacré qui ne peut plus supporter les blessures et souffle ses dernières bougies + l'homme à la constance si importante que son talent tout à fait modéré en devient rare + les jumeaux fougueux un peu concons mais imposants, les Crabbe et Goyle de Harry Potter ou le petit frère et le singe de 'Speed Racer'. Sacré mélange que ces quatre-là, doberman bulldog et lévriers dans un enclos. Plus que ça, trois générations qui se succèdent et interagissent, le plus souvent pour le meilleur. Vieira/Toulalan/Diarra² ont réalisé 'Broken flowers' en 2006, état de grâce rarement atteint depuis si l'on excepte leurs quelques passages à la télévision et quelques épisodes des 'Sopranos'. Il y a somme toute du Apatow chez Patrick Vieira, cette capacité à fédérer tout en continuant de créer, enfanter un monde et des codes à soit tout en refusant de s'y astreindre totalement. Leur film-étendard se situe entre 'La nuit nous appartient' et 'Don't come knocking', quoiqu'il en soit toujours marqué du sceau de la famille et de sa reconstruction, ou comment vivre ensemble malgré les traumatismes et différences.

Les milieux offensifs – Gourcuff/Nasri : un poste en reconstruction mais pourvu de joyaux encore en phase de modélisation. Ces deux-là, souvent comparés à la légende Zidane/Murnau, sont d'ores et déjà promis à un grand avenir mais le plus dur reste à venir : concrétiser des promesses qui, à terme, pourraient leur offrir le brassard de cette nouvelle vague. Un capitanat indéfectible pour un poste de relayeur créatif, indispensable à la formation actuelle (4-2-3-1) car à la fois passeur et buteur, à la fois base solide qui sous-tend des enjeux fondamentaux mais aussi levier pour l'attaquant de pointe. Gourcuff/Nasri c'est James Gray et Wes Anderson à la fois, éclectiques, lucides et stables. Dans tous les cas il s'agit de savoir prendre le temps, lever la tête, sonder les enjeux et décider qu'une voie est plus importante qu'une autre. Perforer les codes en privilégiant l'altruisme, voilà la maxime du meneur de jeu, réalisateur il y a à peine quelques mois du déjà très grand 'L'autre rive'.

Troisième volet, l'attaque :

Les ailiers – Ribéry/Govou : un globe-trotter explosif et imprévisible allié à la constance d'un fidèle artisan, pas spécialement clinquant mais parmi ce qui se fait de mieux. L'un joue à gauche et l'autre à droite mais peuvent facilement interchanger, auteurs de trajectoires différentes mais qui s'imbriquent, ces deux-là se situent précisément entre Quentin Tarantino et Martin Scorsese. Capables de fulgurances, de s'extirper d'un poteau de corner au milieu de trois contraintes ou encore de provoquer une chevauchée créatrice dans l'axe, dans un grand soir ils peuvent tout changer ; à l'inverse, leur poste délicat et exigeant ne permet pas la moindre faiblesse et il n'est pas rare de les voir sombrer : j'en veux pour preuve la réalisation de '[Rec]' en Suissautriche l'été dernier, une parodie du poste d'ailier, celui qui pousse des grands cris pour effrayer l'adversaire mais n'est pas foutu d'enchaîner un dribble ou un concept sans se heurter à la rigueur qu'on lui oppose. A l'inverse il y a deux ans et demi, en 2006, sortait leur film-étendard, celui qui consacrait Ribéry mais laissait injustement Govou sur la touche, accusé de nonchalance voire de malhonnêteté dans l'écriture : dans un contexte on ne peut plus tourmenté, 'Easy rider' était né.
NB : il est aisé d'imiter les grands ailiers mais rares sont ceux qui se maintiennent au niveau, prenons pour exemples Mathieu Valbuena ou Jimmy Briand : l'un et l'autre après la réalisation de prometteurs clips de Daft Punk et Chemical Brothers ont vu leurs carrières sombrer après la sortie du 'Transporteur' et de '60 secondes chrono'.

Les attaquants – Henry/Anelka/Benzema : un trio tellement ambitieux qu'il en frôle l'arrogance. Une arrogance somme toute plutôt légitime, peut-être pas sur la scène internationale certes mais indiscutable dans leurs contrées. Il s'agit de tueurs, ceux qui synthétisent tous les concepts disséminés de-ci de-là par leurs équipiers pour les concrétiser à l'écran avec une force de frappe hors du commun. Il y a tout ; la modernité, l'impact, le sang-froid pour poindre vers un seul but : la victoire du collectif, l'aboutissement d'un travail effectué en amont, la lucidité. Souvent incompris car littéralement obsédés par leur objet, Henry/Anelka/Benzema sont les plus grands tenants de la modernité, ils sont Tony Scott et Gus Van Sant à la fois, ils sont les réalisateurs de 'The Doom Generation', de 'Croix de Fer' et de '2001'.
NB : si le schéma de jeu qui le précède ne parvient pas à servir son propos, même l'attaquant de pointe le plus talentueux du monde a toutes les chances de rester incompris, voire muet. En ce sens, David Trezeguet est un artiste à part sur la scène internationale, sacrifié sur l'autel d'une certaine forme de collectif. David Trezeguet se situe entre Peckinpah et Carpenter, David Trezeguet est le réalisateur de 'Impitoyable'.

2 commentaires:

Hugues Derolez a dit…

Bien loin de moi l'idée de remettre en question certaines de tes propositions mais je trouve que ça manque d'intimité, de léger, quelque chose de moins sanguin et parfois de plus apaisé. Je m'essaierai à l'exercice bientôt. Tu devrais peut être mettre en place ton équipe type dans un autre post, non ? Comme une sorte d'introduction à la discipline. Ce serait intéressant. Tu as aussi oublié de parler de Domenech. Enfin je me demande ce que cela va donner sur la longueur. En effet c'est très impressionnant mais je me demande si tu arriveras au même tact (et surtout à te renouveler) en utilisant d'autres équipes.

Axel Cadieux a dit…

Je comprends ce que tu dis, les corrélations sont faites de manière très directe et pas nécessairement lucide mais étant donné que je marche quand même pas mal au bluff, c'est risqué de prendre le temps d'expliciter. Par contre pour y mettre plus d'intimité je ne vois pas, comment veux-tu t'y prendre ?

Une dreamteam pourquoi pas, ça pourrait être drôle mais comme tu le dis je pense que ça devenir très difficile de se renouveler, à moins de passer au cinéma français. Après je t'avoue que j'ai pas forcément l'envie de recommencer avec une autre équipe, on verra ça.