Je pense ici à Black Book (Verhoeven, 2006), à sa manière de digérer un passé biaisé pour en faire rejaillir les conséquences contemporaines avec rage et justesse. Je pense à The Addiction (Ferrara, 1994), qui inscrit la douleur et la mort sur le celluloïd même, qui ressuscite les images pour mieux les actualiser. A ce cinéma encore déchiré, intrinsèquement malade et conscient du fardeau que l'on continue de porter, Singer répond avec une fiction historique d'antiquaires, certes fluide et par moments virtuose, mais toujours cantonnée au récit figé. Valkyrie sort à peine sur les écrans qu'il n'appartient déjà plus qu'au passé, incapable d'en faire la synthèse pour éclairer voire, dans des cas extrêmes, modifier la perception du présent
Dans Vol 93, Greengrass se servait de la -prématurée- fiction historique comme d'un grand huit, et sous couvert de réhabiliter des mémoires héroïques niait la notion même de libre-arbitre par l'impact hypnotisant de l'image. Pris en otage par la virtuosité, la fluidité d'une caméra, il ne s'agit plus de mettre en relief les événements passés pour en tirer les conséquences, mais de s'en nourrir comme d'une attraction maladive, toucher de loin à la catastrophe pour mieux jouir de notre quiétude. « Expérimenter le frisson », l'un des points cardinaux de l'histoire du cinéma mis à mal par les dangers de la mimèse historique, voilà le réel enjeu de Valkyrie.
Singer le développe en effet à son insu, préférant instaurer un rapport exclusivement iconographique au sujet, toujours via un médium et sans jamais s'extirper de l'imagerie reproduisant les signes extérieurs de la catastrophe. Jamais Singer n'ose la confrontation au présent, celle qui dépasse le frisson technique pour rallier l'époque et investir les quotidiens. Dans Considérations intempestives (1873), Nietzsche écrit que « seul celui que la nécessité présente prend à la gorge et qui veut à tout prix en rejeter le poids, sent le besoin d'une histoire critique, c'est-à-dire qui juge et qui condamne » ; en choisissant d'embaumer les corps plutôt que d'en démultiplier les démons, Singer semble bien loin de la lucidité hargneuse de Paul Verhoeven...
3 commentaires:
En plus Singer porte bien le nom du verbe qui fait que c'est drôle. C'est vraiment un texte très cool. Le seul point noir : terminer par des points de suspension. Est-ce nécessaire ? Un jour je t'expliquerai pourquoi j'abhorre (et Droso également) les points de suspension. Par contre Black Book c'est quand même plutôt 2006.
Dans l'absolu tu n'as pas tort pour les points de suspension ce n'est pas une pratique j'aime beaucoup non plus, mais là je ne sais pas ça m'a semblé assez naturel. Je vais voir pour mc.
J'aime bcp axel. Tu me donne encore plus envie de voir Walkyrie
Enregistrer un commentaire