Le renouveau de la comédie américaine, porté par la nébuleuse Apatow, a tendance à s’essouffler et peine à renouveler ses fondamentaux, à l’image de American Trip qui mêle aux considérations déjà développées par ses cousins (la filiation, la gestion de la célébrité, ou encore d’une famille en devenir, avec ce que ces notions comportent d’aliénant) une énergie physique et un humour gestuel que l’on n’imaginait pas poindre dans ce cadre et qui, surtout, brasse davantage d’air qu’il ne génère de mouvement.
C’est donc l’inattendu et salutaire Cyrus, de Jay et Mark Duplass, qui offre dans la foulée un véritable nouvel angle d’approche, et parvient à étendre les frontières d’un univers en phase de sclérose. Si ce dernier diffère de ses grands frères, sans pour autant abandonner leurs plus grandes préoccupations, c’est avant tout dans sa construction et dans l’arc scénaristique qu’emprunte le personnage de John C. Reilly. Célibataire depuis sept ans, vivant dans une grande maison d’adolescent, il ne suffira que d’une séquence, une fête organisée par son ex-femme, pour bazarder le cheminement qui le mène à une certaine forme de renaissance, et qui aurait constitué les deux tiers, l’essentiel d’une production Apatow classique et justement reconnue comme telle du fait de ce format. Dans Cyrus la route est inversée, la maïeutique du personnage principal intervient en tout début de métrage, littéralement et concrètement exprimée par un Reilly éméché à une fille choisie au hasard, en l’occurrence la plus vilaine du continent américain. Cette dernière, visiblement lassée, s’en ira plutôt passer un coup de fil, tandis que John rencontrera quelques instants plus tard la femme de sa vie. Ce fait étant établi et la trajectoire personnelle du personnage principal digérée, que reste-t-il aux Duplass pour exister, pour s’inscrire au sein d’un courant qui leur préexiste, mais qu’il s’agit désormais de ne plus singer ?
Cyrus, en même temps que son personnage éponyme Jonah Hill, entre alors dans la cour des grands. Les sentiers ne sont plus balisés par de quelconques repères, l’évolution n’est plus rectiligne, toute droit dirigée vers un accomplissement (même si les derniers plans des films directement réalisés par Apatow sont certes toujours amers et ambigus), les possibilités sont illimitées et il s’agit donc ici, avant tout, de flotter et de tâtonner. Tâtonner à l’image de cette caméra instable, qui zoome et qui dézoome, parfois de manière systématique et un peu malheureuse, mais dont l’évidente lisibilité des intentions génère davantage de tendresse que de mépris. La tendresse, c’est aussi ce qui traverse le métrage à partir de la fête initiatique, et ne s’en départira plus. Cyrus et John se livrent certes à un conflit latent, puis ouvert, ayant chacun pour objectif de vivre avec la très belle Molly (Marisa Tomei). Mais il ne s’agit après tout que de courtes et anecdotiques tranches de vie, comme suspendues, soumises aux impondérables et à des oppositions nécessaires, l’essentiel étant dans tous les cas déjà acquis, pour l’un comme pour l’autre, qui ne doivent in fine qu’apprendre à partager une femme et une mère. Cette présence féminine qui les meut, n’est de toute manière plus à conquérir puisqu’elle s’offre littéralement et a priori aux deux hommes. Les étapes rencontrées par le personnage de Jonah Hill, qui le mènent lui aussi à un accomplissement certain, sont d’ailleurs rapidement éludées, la décision finale de réintégrer John étant naturellement synthétisée par le regard de Cyrus sur sa mère allongée. Encore une fois l’essentiel était ailleurs, plus tôt, il a d’ores et déjà été consommé et il s’agit désormais d’apprendre à vivre, à bâtir sur ces nouvelles données. Par extension, c’est aussi la nouvelle comédie américaine, dans toute sa beauté mais aussi la hâte qui la caractérise, qui fêle progressivement son œuf et commence à s’aventurer dans des contrées encore inconnues, dont l’horizon certes incertain et infini semble recéler davantage de promesses que de mirages.