jeudi 4 décembre 2008

"A gourmet meal"


'A Night at the Roxbury', 'Anchorman' et 'Talladega Nights', en plus d'avoir Will Ferrell en commun, partagent tous trois la même structure. Un schéma narratif certes plutôt académique : la présentation du ou des personnages principaux, un événement perturbateur, et la reconstruction qui s'ensuit. Rien de révolutionnaire ici sauf si l'on accepte de lire entre les lignes, de passer outre le vernis absurde pour toucher à l'essence de cette trilogie informelle.

Un loser envieux du monde de la nuit, un présentateur vedette iconique puis un champion de rally surexposé, trois personnages initialement usants car figés dans l'univers cinématographique, série de gimmicks à l'appui et tics comiques à répétition. C'est de là que Ferrell puise sa grandeur, puisqu'il parvient à faire tomber des masques que l'on croyait définitifs, extirpe ses personnages de la simple imagerie pour leur façonner un visage pétri de faiblesses et de nuances. Mais plus que le constat, c'est ici la trajectoire qui importe.

Une affaire de valeurs sans doute, de seconde chance, de compassion portée à un personnage engoncé dans un costume. De liant également, puisque s'opère un glissement entre des rapports prédéterminés voire imposés, et une délicate reconstitution de la sphère intime, le plus souvent familiale. Un Ricky Bobby retrouvé le lâche du bout des lèvres, au volant, à un père absent : « You know what ? Let's go out tonight, you know, the whole family. I'm talking about sitting down, enjoying a gourmet meal... ». C'est précisément là que se trouve toute la beauté de ces trois films cousins, parvenir à mettre en exergue la reconstruction de relations fondamentales et pourtant perdues, dissimulées sous un amas d'enjeux anodins mais initialement prépondérants.

Ainsi, les Butabi de 'A night at the Roxbury' doivent-ils se frotter aux contraintes du monde adulte pour faire un pas en arrière et prendre conscience de cet amour fraternel, intrinsèquement juvénile, qui les unit et qu'ils ne sont pas prêts à abandonner. Il s'agit pour les Butabi de ne pas céder à de supposés impératifs pour mieux laisser s'épanouir le lien qui les a construit ; à l'inverse, Ron Burgundy et surtout Ricky Bobby profitent d'un élément perturbateur (dans les deux cas l'arrivée d'un concurrent a priori néfaste) pour se débarrasser de l
eur apparat, et ainsi lentement reconstruire une sphère oubliée.

Affaire de valeurs et de trajectoires disais-je, car rien ici n'advient sans une certaine idée de la solidarité, inaliénable, fondamentale mais pansée car exposée. Affaire de responsabilités sociales qui s'imbriquent, s'opposent à l'intime, nécessitent retouches et mutations. Dans 'Talladega Nights', un Ricky Bobby convalescent rentre dans une voiture les yeux bandés alors que son père le guide, démarre, hésite et accélère avant de percuter quelques obstacles et finit par détruire une maison ; laborieux réapprentissage d'une confiance amoindrie par les années, à tâtons et sur béquilles.

mardi 2 décembre 2008

Foot-Ciné : Et si William Gallas remontait Raging Bull ?

J'ai pour projet de passer en revue les grands championnats européens et équipes nationales pour déterminer quels films auraient pu réaliser les divers joueurs, et dans quels courants cinématographiques se placeraient-ils. Pour faire simple, commençons et probablement finissons par l'équipe de France (je me contente d'un onze type, agrémenté de deux ou trois notables remplaçants, notamment en pointe où je ne peux pas délaisser deux des trois stars).

Premier volet, la défense :

Gardien – Mandanda : atypique, surprenant et charismatique, porté aux nues après ses toutes premières oeuvres mais dès lors pas nécessairement constant. Explosif au sol, artiste de la terre en grande difficulté lorsqu'il s'agit de devenir plus aérien, Steve Mandanda est William Friedkin. Un Friedkin apaisé, discret mais tourmenté, le film-phare de Mandanda se situerait entre 'Traqué' et 'Délivrance', entre 'Bug' et 'X-files le film'.

Les arrières latéraux – Sagnol/Sagna – Abidal/Evra : un double-duo tout à fait symptomatique du poste si particulier, si complet d'arrière latéral, qui est à mes yeux le plus intéressant sur un terrain. Ces quatre-là évoquent avant tout un passage de relai, deux carrières en fin de vie (une mort naturelle et une longue maladie, disons un sida car ça touche à tous les compartiments du jeu) qui laissent la place à deux grands espoirs en Bleu qui peinent encore à s'affirmer. Relai temporel donc pour un poste qui se doit d'assurer le relai spatial, défend et assure les arrières tout autant qu'il se dédouble pour assurer le surnombre en attaque (par des voies pas forcément académiques par ailleurs). Très difficile à synthétiser, mais je pense que les frères Farrelly font parfaitement l'affaire. De par leur capacité à feindre l'inoffensif pour mieux perforer, faire croire à une stabilisation de bases déjà acquises pour finalement jouer sur divers tableaux et brouiller les cartes. Tout comme Sagnol, tout comme Abidal, les frères Farrelly (encore un duo tiens) travaillent sur le liant, qu'il soit spatial ou temporel, et je désigne 'Deux en un' (buddy-movie par ailleurs, y'a pas de hasard) comme film-étendard du poste d'arrière latéral.

Les arrières centraux – Gallas/Mexès : deux personnalités complètement imprévisibles pour un poste qui nécessite peut-être la plus grande constance, avec gardien de but. Impérial en club et défectueux en sélection, tout l'inverse pour l'autre, ces deux-là manquent encore d'automatismes, ont peut-être du mal à s'adapter aux nouvelles donnes mondiales, mais s'ils reviennent à leur meilleur niveau ça risque de faire très mal. Rien de révolutionnaire, non, le poste ne l'exige pas, mais une rigueur terrifiante doublée d'un leadership indéfectible. Des meneurs d'homme, voilà ce qu'ils ont été et voilà ce qu'ils pourraient redevenir s'ils impressionnaient plus régulièrement. Gallas/Mexès, c'est Francis Ford Coppola et Ridley Scott, ce sont les réalisateurs d''Alien' mais aussi de 'American Gangster', une filmographie que l'on pourrait croire cancéreuse mais qui s'avère en réalité profondément dépressive et nostalgique. 'L'homme sans âge', Gallas et Mexès en fantasment mais ils ne l'ont pas encore réalisé. Film-étendard, 'Raging Bull' est en post-production avec Lilian Thuram au montage.

Deuxième volet, les milieux :

Les milieux défensifs – Vieira/Toulalan/Diarra² : un monstre sacré qui ne peut plus supporter les blessures et souffle ses dernières bougies + l'homme à la constance si importante que son talent tout à fait modéré en devient rare + les jumeaux fougueux un peu concons mais imposants, les Crabbe et Goyle de Harry Potter ou le petit frère et le singe de 'Speed Racer'. Sacré mélange que ces quatre-là, doberman bulldog et lévriers dans un enclos. Plus que ça, trois générations qui se succèdent et interagissent, le plus souvent pour le meilleur. Vieira/Toulalan/Diarra² ont réalisé 'Broken flowers' en 2006, état de grâce rarement atteint depuis si l'on excepte leurs quelques passages à la télévision et quelques épisodes des 'Sopranos'. Il y a somme toute du Apatow chez Patrick Vieira, cette capacité à fédérer tout en continuant de créer, enfanter un monde et des codes à soit tout en refusant de s'y astreindre totalement. Leur film-étendard se situe entre 'La nuit nous appartient' et 'Don't come knocking', quoiqu'il en soit toujours marqué du sceau de la famille et de sa reconstruction, ou comment vivre ensemble malgré les traumatismes et différences.

Les milieux offensifs – Gourcuff/Nasri : un poste en reconstruction mais pourvu de joyaux encore en phase de modélisation. Ces deux-là, souvent comparés à la légende Zidane/Murnau, sont d'ores et déjà promis à un grand avenir mais le plus dur reste à venir : concrétiser des promesses qui, à terme, pourraient leur offrir le brassard de cette nouvelle vague. Un capitanat indéfectible pour un poste de relayeur créatif, indispensable à la formation actuelle (4-2-3-1) car à la fois passeur et buteur, à la fois base solide qui sous-tend des enjeux fondamentaux mais aussi levier pour l'attaquant de pointe. Gourcuff/Nasri c'est James Gray et Wes Anderson à la fois, éclectiques, lucides et stables. Dans tous les cas il s'agit de savoir prendre le temps, lever la tête, sonder les enjeux et décider qu'une voie est plus importante qu'une autre. Perforer les codes en privilégiant l'altruisme, voilà la maxime du meneur de jeu, réalisateur il y a à peine quelques mois du déjà très grand 'L'autre rive'.

Troisième volet, l'attaque :

Les ailiers – Ribéry/Govou : un globe-trotter explosif et imprévisible allié à la constance d'un fidèle artisan, pas spécialement clinquant mais parmi ce qui se fait de mieux. L'un joue à gauche et l'autre à droite mais peuvent facilement interchanger, auteurs de trajectoires différentes mais qui s'imbriquent, ces deux-là se situent précisément entre Quentin Tarantino et Martin Scorsese. Capables de fulgurances, de s'extirper d'un poteau de corner au milieu de trois contraintes ou encore de provoquer une chevauchée créatrice dans l'axe, dans un grand soir ils peuvent tout changer ; à l'inverse, leur poste délicat et exigeant ne permet pas la moindre faiblesse et il n'est pas rare de les voir sombrer : j'en veux pour preuve la réalisation de '[Rec]' en Suissautriche l'été dernier, une parodie du poste d'ailier, celui qui pousse des grands cris pour effrayer l'adversaire mais n'est pas foutu d'enchaîner un dribble ou un concept sans se heurter à la rigueur qu'on lui oppose. A l'inverse il y a deux ans et demi, en 2006, sortait leur film-étendard, celui qui consacrait Ribéry mais laissait injustement Govou sur la touche, accusé de nonchalance voire de malhonnêteté dans l'écriture : dans un contexte on ne peut plus tourmenté, 'Easy rider' était né.
NB : il est aisé d'imiter les grands ailiers mais rares sont ceux qui se maintiennent au niveau, prenons pour exemples Mathieu Valbuena ou Jimmy Briand : l'un et l'autre après la réalisation de prometteurs clips de Daft Punk et Chemical Brothers ont vu leurs carrières sombrer après la sortie du 'Transporteur' et de '60 secondes chrono'.

Les attaquants – Henry/Anelka/Benzema : un trio tellement ambitieux qu'il en frôle l'arrogance. Une arrogance somme toute plutôt légitime, peut-être pas sur la scène internationale certes mais indiscutable dans leurs contrées. Il s'agit de tueurs, ceux qui synthétisent tous les concepts disséminés de-ci de-là par leurs équipiers pour les concrétiser à l'écran avec une force de frappe hors du commun. Il y a tout ; la modernité, l'impact, le sang-froid pour poindre vers un seul but : la victoire du collectif, l'aboutissement d'un travail effectué en amont, la lucidité. Souvent incompris car littéralement obsédés par leur objet, Henry/Anelka/Benzema sont les plus grands tenants de la modernité, ils sont Tony Scott et Gus Van Sant à la fois, ils sont les réalisateurs de 'The Doom Generation', de 'Croix de Fer' et de '2001'.
NB : si le schéma de jeu qui le précède ne parvient pas à servir son propos, même l'attaquant de pointe le plus talentueux du monde a toutes les chances de rester incompris, voire muet. En ce sens, David Trezeguet est un artiste à part sur la scène internationale, sacrifié sur l'autel d'une certaine forme de collectif. David Trezeguet se situe entre Peckinpah et Carpenter, David Trezeguet est le réalisateur de 'Impitoyable'.